La victoire de la campagne de Tây Nguyên a changé la situation sur le champ de bataille

Des véhicules blindés ennemis incendiés par l'armée de libération dans le district de Duc Lâp dans la province de Dak Lak. Photo : VNA.

Des véhicules blindés ennemis incendiés par l'armée de libération dans le district de Duc Lâp dans la province de Dak Lak. Photo : VNA.

Il y a 50 ans, la campagne de Hauts Plateaux du Centre (Tây Nguyên du Vietnam), qui s'est déroulée du 4 mars au 3 avril 1975, a officiellement déclenché l'offensive générale et le soulèvement du printemps 1975 de notre armée et de notre peuple, créant un tournant qui a changé la situation de la guerre.

La victoire de la campagne de Hauts Plateaux du Centre a anéanti et désintégré une grande force ennemie, créant un tournant décisif et développant l'offensive générale et le soulèvement du printemps 1975 vers une victoire totale.

À l'occasion de cet événement, le journal Nhân Dân (Peuple) a interviewé le docteur en histoire Pham Minh Thê, de la faculté d'histoire de l'Université des sciences sociales et humaines de l'Université nationale de Hanoï.

Le choix de Tây Nguyên reflète la vision stratégique de notre armée

Journaliste : Docteur, en évoquant la décision de choisir les Hauts Plateaux du Centre comme lieu d'ouverture de l'offensive générale et du soulèvement du printemps 1975, le général Vo Nguyên Giap a affirmé : « Quiconque occupe Hauts plateaux du Centre dominera le Vietnam et l'Indochine ». Pourriez-vous analyser plus clairement la position stratégique du Hauts Plateaux du Centre à ce stade ?

Dr. Pham Minh Thê : Si nous observons la carte, nous constatons que sous des angles tels que la géostratégie, la géopolitique, la géoéconomie et la géoculture, les Hauts Plateaux du Centre est une région géostratégique extrêmement importante de notre pays à tout moment, en particulier en termes de sécurité et de défense.

Les Hauts Plateaux du Centre est une zone limitrophe du Laos et du Cambodge, comprenant la région du carrefour de l'Indochine, avec un terrain élevé, accidenté et complexe.

Au nord des Hauts Plateaux du Centre se trouve la province de Kon Tum, avec de nombreuses hautes montagnes et de vastes forêts.

Au sud, le terrain est relativement plat, les chaînes de montagnes diminuant progressivement jusqu'aux plateaux de Lâm Viên et de Lâm Dông.

À l'est, il est relié aux provinces côtières du centre-sud ; et à l'ouest, il borde le nord-est du Cambodge, au nord-ouest, il borde la région du Bas-Laos.

Ainsi, occuper les Hauts Plateaux du Centre, c'est contrôler toute l'Indochine. Car de là, on peut envoyer des troupes au Laos, au Cambodge, au Nord du Vietnam, puis descendre sur une bande côtière du centre du Vietnam, ou avancer vers la région du sud. Par conséquent, l'affirmation juste et perspicace du général Vo Nguyên Giap, « Quiconque occupe les Hauts Plateaux du Centre dominera le Vietnam et l'Indochine », est tout à fait fondée.

D'autre part, à la fin de 1974 et au début de 1975, les Hauts Plateaux du Centre étaient la zone du Corps d'armée 2 de l'Armée de la République du Vietnam, considérée comme l'arrière du Corps d'armée 2 comprenant les provinces Quang Tri, Thua Thiên, Quang Nam, Quang Tin et Quang Ngai au Sud.

C'était une zone de première ligne adjacente au Nord et considérée comme un bouclier pour les Corps d'armée 3 et 4 de l'Armée de la République du Vietnam. Elle protégeait directement le centre névralgique de l'ennemi à Saigon.

Ainsi, la position stratégique des Hauts Plateaux du Centre était extrêmement importante et l'occupation de cette zone ébranlerait tout le Sud, comme l'a souligné feu le Secrétaire général du Parti communiste du Vietnam, Lê Duân.

Quartier général du front des Hauts Plateaux du Centre en mars 1975 (de gauche à droite) : Hoàng Dung, chef du bureau du ministère de la Défense ; le général Van Tiên Dung ; Bui San, membre du Comité du Parti de la région V ; Huynh Van Mân (Chin Can), secrétaire du Comité provincial du Parti de Dak Lak. Photo : VNA.

Quartier général du front des Hauts Plateaux du Centre en mars 1975 (de gauche à droite) : Hoàng Dung, chef du bureau du ministère de la Défense ; le général Van Tiên Dung ; Bui San, membre du Comité du Parti de la région V ; Huynh Van Mân (Chin Can), secrétaire du Comité provincial du Parti de Dak Lak. Photo : VNA.

Journaliste : Le choix de la zone des Hauts Plateaux du Centre comme étape d'ouverture était déjà une décision clairvoyante, mais l'élaboration du plan d'opération de cette campagne témoigne également d'une ingéniosité et d'une stratégie hors pair. Comment évaluez-vous les caractéristiques exceptionnelles de l’art militaire de cette campagne d’ouverture ?

Dr. Phạm Minh Thê : Pendant les guerres d'invasion contre le Vietnam et l'Indochine, les Français et les Américains ont tous reconnu la position névralgique de la région des Hauts Plateaux du Centre.

 Ils considéraient les Hauts Plateaux du Centre comme le « toit de l'Indochine » et ont donc déployé un système de bases et de bastions solides pour tenir cette zone stratégique.

Pendant cette guerre, les États-Unis et le gouvernement de la République du Vietnam ont organisé une défense stratégique aux Hauts Plateaux du Centre afin de nous bloquer et de nous empêcher d'avancer à l'ouest et au nord-ouest, servant de bouclier et assurant la sécurité des provinces du centre et du sud-est.

En effet, si les Hauts Plateaux du Centre et l'ensemble du Corps d'armée 2 étaient perdus, la position stratégique de l'ennemi serait compromise. Le 1er corps d'armée serait isolé et le Corps d'armée 3 serait directement menacé.

Par conséquent, à la fin de 1974 et au début de 1975, les forces ennemies stationnées aux Hauts Plateaux du Centre étaient relativement nombreuses. Elles comprenaient l'ensemble des forces de la Division d'infanterie 23, 7 Bataillons de rangers, 36 bataillons de gardes de sécurité, 4 Régiments blindés, 230 pièces d'artillerie, 150 avions appartenant au Corps d'armée 2 de la 2e région militaire.

Cependant, le déploiement des forces ennemies était fort aux deux extrémités, c'est-à-dire fort dans la zone nord des Hauts Plateaux du Centre, adjacente au 1er corps d'armée, et dans la zone adjacente au 3e corps d'armée.

La partie centrale et le sud des Hauts Plateaux du Centre étaient considérés comme l'arrière, donc les forces étaient plus minces.

Cela a créé un « point faible fatal » dans le déploiement des forces ennemies dans toute la zone des Hauts Plateaux du Centre.

D'autre part, le gouvernement de Nguyên Van Thiêu a prévu que l'Armée de libération attaquerait le nord du Tây Nguyên. Ainsi, la plupart des forces de la Division 23 et des forces spéciales devaient se rassembler dans cette zone pour bien occuper Pleiku et Kon Tum.

Mais il s’agissait de la plus grande faille du gouvernement de la République du Vietnam dans sa stratégie de déploiement des forces armées.

Malgré sa position stratégique importante, le Tây Nguyên est doté d’un relief montagneux accidenté. Son système de transport était encore peu développé.

L'ennemi ne pouvait que mobiliser ses forces sur quelques axes routiers tels que les routes 14, 19, 21 et 7.

Lorsque ces routes ont été bloquées, le Tây Nguyên se sont retrouvés isolés de la région centrale du Sud et du champ de bataille du sud. Il ne restait plus que la voie aérienne pour amener des renforts et des secours.

La disposition des forces ennemies met l’accent sur les deux extrémités, c'est-à-dire que les forces sont concentrées dans le nord du Tây Nguyên, à la frontière avec la région militaire 1, et dans la zone limitrophe avec la Région militaire 3.
Le docteur Pham Minh Thê

Journaliste : Comment avons-nous profité de cette faille de l'ennemi dans la campagne du Tây Nguyên ?

Dr. Pham Minh Thê : Nous disposons d’une grande capacité et des conditions favorables pour mener des attaques contre les forces ennemies.

En raison de la concentration des forces ennemies sur les deux extrémités, l'Armée de libération a décidé de déclencher la bataille de Buôn Ma Thuôt pour ouvrir la campagne du Tây Nguyên, car cette ville est située au centre du Tây Nguyên.

Le choix d'attaquer le Tây Nguyên était très avantageux pour nous afin de déployer notre offensive stratégique.

Avant de choisir le Tây Nguyên, nous avons réalisé de nombreuses analyses.

La région du Nam Bộ (Région militaire 4) était considérée comme « l'arrière-cour » de l'ennemi, qui abritait de nombreuses bases militaires, mais avec une organisation défensive peu solide.

Cela était favorable à notre attaque vers Saïgon, mais nous devions faire face à des difficultés dans le déploiement des équipements techniques et des forces importantes.

Quant à la région militaire 1, l'ennemi disposait d’une position défensive forte, avec l’appui des forces d’artillerie aérienne et terrestre, ainsi que d’une bonne capacité de secours et de dégagement entre ses divisions.

En outre, la région militaire 1 abrite un port maritime où les navires de guerre ennemis pouvaient intervenir à tout moment.

Comme le Tây Nguyên est couvert de forêts denses et discrètes, nous pouvions facilement déployer nos équipements militaires pour des opération interarmées.

C'est également le champ de bataille où nous avons acquis de grandes expériences dans le combat contre l’ennemi, et qui était adapté aux forces de combat de notre armée et de notre peuple.

Sur ce front, nous avons bien préparé les forces et les équipements nécessaires pour attaquer l’ennemi. 

Au début de 1974, dans le Tây Nguyên, notre force régulière ne comptait que deux divisions d’infanterie et un certain nombre d’unités de combat et d’appui au combat.

Entre la fin de 1974 et le début de 1975, cette force se composait de 5 divisions d'infanterie, 4 régiments indépendants et plusieurs autres unités de combat et d’appui au combat.

En se basant sur les analyses concernant le déploiement des forces ennemies, la situation réelle et notre stratégie de combat, on peut affirmer que le Tây Nguyên est la direction offrant les conditions les plus favorables pour déployer une offensive stratégique.

La réalité a prouvé que dès le lancement de la campagne du Tây Nguyên, nous avons créé une position dominante, portant à l'ennemi un coup surprise et stupéfiant, créant un tremplin solide pour des attaques contre l’ennemi dans les provinces de la côte centrale, de l'Est et du Sud, brisant rapidement le système de défense de l'ennemi dans la zone tactique 2.

L'art de choisir la direction d'ouverture de l'offensive stratégique du printemps 1975 est unique et créatif, marquant une étape importante dans le développement de l'art militaire du Vietnam à l’ère Hô Chi Minh.

Tây Nguyên aujourd’hui. Photo : Công Ly.

Tây Nguyên aujourd’hui. Photo : Công Ly.

Frapper le point faible de l'ennemi à Buôn Ma Thuôt – le summum de l'art militaire du Vietnam

Journaliste : Selon les chercheurs historiques et militaires, le point le plus remarquable de la campagne du Tây Nguyên réside dans l'art de tromper l’ennemi, qui nous a permis de détruire la position de l'ennemi et de manipuler l'ennemi.

Dr. Pham Minh Thê : De son vivant, le Président Hô Chi Minh a écrit de nombreux ouvrages sur les stratégies de guerre.

 Il a indiqué : « Pour remporter la victoire face à un ennemi puissant, il faut savoir combiner étroitement force, position, opportunité et stratégie ».

Ces instructions ont été bien appliquées par le Bureau politique, la Commission militaire centrale et de nombreux généraux du Vietnam lors de différentes campagnes militaires, dont celles de Tây Nguyên, Tri Thiên - Huê, Nam Ngai et Dà Nang, ou encore la campagne historique Hô Chi Minh.

Comme analysé précédemment, bien que le Tây Nguyên occupe une position stratégique importante, la disposition des forces ennemies a exposé de nombreuses failles. 

Pendant ce temps, il s’agissait d’une zone stratégique, une base arrière pour nos troupes et notre peuple pendant la guerre de résistance contre les Américains. Elle offrait des conditions favorables pour organiser et déployer des armes et équipements militaires en vue de combats interarmes combinés et d'opérations d'anéantissement de grande envergure contre l’ennemi.

C'était également un champ de bataille où nous avions accumulé beaucoup d'expérience lors de nos précédents affrontements avec l'ennemi, tant au niveau stratégique que tactique, et qui correspondait parfaitement à notre expertise en combat.

Dans cette direction, nous avons préparé nos forces de manière relativement minutieuse.

Ainsi, nous disposions à la fois de l'avantage stratégique, de la puissance et de l'opportunité en choisissant Tây Nguyên (Hauts Plateaux du Centre) comme théâtre de la première offensive.

Les soldats de la Division Pleime (dans la province de Gia Lai) discutent des plans d'attaque contre l'ennemi. Photo : VNA.

Les soldats de la Division Pleime (dans la province de Gia Lai) discutent des plans d'attaque contre l'ennemi. Photo : VNA.

En choisissant Tây Nguyên comme direction de la première offensive, le Bureau politique, la Commission militaire centrale, ainsi que le Secrétaire général Lê Duân, le Général Vo Nguyên Giap et le Général de Corps d’armée Hoàng Minh Thao ont tous mené une évaluation approfondie de cette zone.

Le Secrétaire général du Parti communiste du Vietnam, Lê Duân, a soulevé la question : où devons-nous frapper un point névralgique ?

Il a affirmé que ce point devait être Buôn Ma Thuôt. Car si nous réussissions à frapper ce point névralgique à Buôn Ma Thuôt, tout le Sud en serait ébranlé, entraînant un retrait stratégique à Huê et Dà Nang.

Ce serait alors l’occasion pour nous d’avancer avec rapidité, rapidité et encore rapidité afin de libérer le Sud.

Si nous réussissions à frapper ce point névralgique à Buôn Ma Thuôt, tout le Sud en serait ébranlé, entraînant un retrait stratégique à Huê et Dà Nang.

Dans ses mémoires « Le Quartier général durant le printemps de la victoire totale », le Général Vo Nguyên Giap raconte : « Lors d'une séance de travail, le camarade Hoàng Minh Thao, avec sa vision d’expert en science militaire, a proposé que, si nous choisissions Tây Nguyên comme direction stratégique, il fallait en premier lieu attaquer Buôn Ma Thuôt. Car ce chef-lieu était le plus grand de la zone, un point névralgique et aussi un endroit vulnérable. Les principales difficultés pour mener une offensive dans cette direction étaient le manque de voies de déplacement et l’insuffisance des ressources en eau. J’ai totalement approuvé cette analyse ».

De son côté, dans ses mémoires, le Général de Corps d’armée Hoàng Minh Thao analyse : « Le chef-lieu de Buôn Ma Thuôt se trouvait profondément en zone contrôlée par l’ennemi. C’était un centre économique, politique et culturel majeur des Hauts Plateaux du Centre, mais aussi un bastion des chefs réactionnaires locaux.

Militairement, cette ville occupait une position stratégique très mobile, située au carrefour de la route 21 reliant Nha Trang et de la route 14, qui mène au nord vers Cheo Reo - Pleiku et au sud vers Gia Nghia, dans le Nam Bô oriental.

Étant située en profondeur dans la zone contrôlée par l’ennemi, les troupes d’occupation stationnées à Buôn Ma Thuôt n’étaient pas confrontées directement à nos forces comme à Kon Tum, ce qui faisait que leur dispositif défensif y était moins rigoureux.

Toutefois, attaquer Buôn Ma Thuôt présentait des défis : la difficulté du renseignement, l’identification des positions ennemies, la reconnaissance du terrain, ainsi que les contraintes liées au transport logistique et au regroupement des troupes.

Tous les préparatifs devaient être extrêmement méticuleux et maintenus dans le plus grand secret. Une opération de diversion était indispensable pour détourner l’attention de l’ennemi vers une autre direction et ainsi empêcher tout renforcement de ses défenses.

La décision de choisir Buôn Ma Thuôt comme bataille clé, celle qui ouvrirait la campagne, était parfaitement juste.

C’était un coup stratégique visant directement la faille et le point faible de l’ennemi.

Mais pour assurer la victoire, nous avons adopté un plan de diversion à Pleiku, attirant ainsi les forces ennemies vers cette zone, avant de porter l’attaque décisive sur Buôn Ma Thuôt ».

Le commandement de la campagne du nord de Tây Nguyên se réunit pour discuter du plan de combat. Le camarade Hoàng Minh Thao (à l'extrême droite). Photo d’archives.

Le commandement de la campagne du nord de Tây Nguyên se réunit pour discuter du plan de combat. Le camarade Hoàng Minh Thao (à l'extrême droite). Photo d’archives.

Le Général de corps d’armée Hoàng Minh Thao a également affirmé : Pour remporter rapidement la victoire à Buôn Ma Thuôt, il fallait mener une diversion à Pleiku afin que Buôn Ma Thuôt reste aussi vulnérable qu’auparavant. Nous avons organisé une opération de diversion à Pleiku, conformément à la stratégie du Général Hoàng Minh Thao.

Les résultats de la campagne ont démontré que les évaluations et les calculs du Bureau politique, de la Commission militaire centrale et du Général de corps d’armée Hoàng Minh Thao étaient justes.

Nos forces armées et notre peuple ont remporté une victoire totale, créant ainsi les conditions pour que le Bureau politique prenne la décision de lancer les campagnes suivantes, telles que la campagne de Tri Thiên - Huê, la campagne de Nam Ngai, la campagne de Dà Nang et, surtout, la campagne historique de Hô Chi Minh.

Le Général de corps d’armée Hoàng Minh Thao et le Commandement de la campagne ont appliqué à la lettre les enseignements du Président Hô Chi Minh : pour vaincre un ennemi puissant, il fallait user de ruse ; pour exploiter efficacement la conjoncture en combinant forces, position et opportunité, il était essentiel de tromper l’ennemi, de « l’attirer dans un piège avant de le frapper », d’ « éviter ses points forts et attaquer ses points faibles, de semer le trouble à l’est et frapper à l’ouest », et de faire preuve d’une stratégie fondée sur le principe « d’immutabilité face aux mille variations ».

La campagne de Tây Nguyên a clairement reflété les principes et la stratégie du Président Hồ Chí Minh bien-aimé.

Nos forces armées et notre peuple ont su combiner position, opportunité, puissance et ruse dans cette campagne, menant ainsi à une victoire totale et créant l’opportunité de déclencher immédiatement l’offensive générale pour la libération complète du Sud au printemps 1975.

En évoquant l’art de la diversion dans la campagne de Tây Nguyên le colonel, professeur agrégé et docteur Hoàng Xuân Nhiên relevant du Département de Stratégie, Académie de Défense nationale, affirme : Afin d’établir notre position et de briser celle de l’ennemi, de le tromper et de l’amener à agir selon nos intentions, facilitant ainsi la victoire totale de la campagne, le Haut Commandement a ordonné aux Corps d’armée 2 et 4 de renforcer et de consolider leur déploiement sur deux zones stratégiques essentielles pour l’ennemi : Huê - Dà Nang et le nord-est de Saïgon. Cette manœuvre a contraint l’adversaire à mobiliser la division de marines pour défendre Saïgon (capitale du régime de Saïgon) et la division aéroportée pour protéger Dà Nang (où se trouvait le plus grand complexe militaire ennemi).

Dans le même temps, le haut commandement a ordonné aux forces armées vietnamiennes de multiplier les offensives sur les fronts de Tri - Thiên, du Sud-Est et du Delta du Mékong. L’objectif : contraindre l’ennemi à disperser ses troupes et l’obliger à faire face, sur plusieurs fronts, à la guerre populaire menée par nos troupes.

Cette stratégie a permis de brouiller les cartes quant aux intentions stratégiques majeures du commandement révolutionnaire en 1975, rendant incertaine l’anticipation des offensives décisives à venir.

Ainsi, les opérations de diversion stratégiques jouaient un double rôle : elles induisaient l’ennemi en erreur quant à l’axe principal de l’offensive et contraignaient son commandement à répartir ses forces sur les deux extrémités Nord-Sud – entre Huê - Dà Nang et Sài Gon – laissant vulnérables la région centrale et les Hauts plateaux du Centre.

Ce déploiement forcé a considérablement limité la capacité de réserve stratégique de l’armée ennemie pour intervenir en renfort dans les Hauts Plateaux du Centre.

Dans cette optique, et pour assurer le succès de l’attaque décisive sur Buôn Ma Thuôt, la Commission militaire centrale a ordonné une intensification des actions de diversion pour fixer l’attention de l’adversaire sur la protection du nord des Hauts Plateaux du Centre.

Pour garantir la discrétion dans la préparation de cette offensive, un plan hautement confidentiel, baptisé « Plan opérationnel B », a minutieusement été élaboré et déployé sur un large périmètre, mobilisant divers corps de troupe.

 Son objectif était triple : infliger des pertes humaines et matérielles à l’ennemi sur des positions-clés ; immobiliser les forces de réserve sud-vietnamiennes, empêchant tout mouvement vers Duc Lâp, Gia Nghia et Thuân Mân ; et maintenir l’illusion d’une offensive imminente sur Kon Tum et la Route 19 Est, menaçant Pleiku.

Le commandement de la campagne a chargé le chef d'état-major adjoint Hông Son de superviser personnellement ces opérations depuis l’arrière-poste à l’ouest de Pleiku.

Le journaliste : L’un des éléments les plus marquants de la campagne Hô Chi Minh, et plus largement de la résistance vietnamienne contre l’invasion étrangère, réside dans la mobilisation de la force populaire et de l’unité nationale. Pouvez-vous partager des récits illustrant la contribution des populations des Hauts plateaux du Centre à cette bataille décisive ?

Dr Pham Minh Thê : La stratégie militaire et la tradition de solidarité entre l’armée et le peuple n’étaient pas seulement mises en œuvre durant les guerres contre les armées française et américaine, elles ont marqué l’ensemble du processus de construction et de défense nationale.

Toutefois, lors de la campagne Hô Chi Minh, amorcée avec la bataille des Hauts plateaux du Centre, cette synergie a atteint son apogée.

Les Hauts Plateaux du Centre constituaient une zone stratégique essentielle, servant de bastion à l’armée révolutionnaire tant pendant la guerre contre la France que contre les États-Unis.

La population autochtone de cette région, profondément patriote et acquise à la cause révolutionnaire dès la guerre d’Indochine, a offert un soutien déterminant. C’était un avantage considérable, tant pour assurer la logistique locale que pour garantir le secret des préparatifs, l'élément clé de l’effet de surprise.

 Les déplacements massifs des unités de l’Armée populaire vietnamienne ne pouvaient échapper aux habitants, mais, grâce à leur engagement, aucune information ne parvenait à l’ennemi. Cette protection populaire était un facteur décisif du succès de la campagne.

Un autre aspect crucial était la coordination entre les forces populaires et les unités régulières.

Lors du déclenchement de l’offensive, la population et les forces armées locales se sont soulevées en parallèle, encerclant les positions ennemies, coupant leurs voies de communication et facilitant ainsi la progression des troupes principales.

Ce harcèlement constant a obligé l’ennemi à se retrancher dans ses bastions, où il a été anéanti ou contraint à la reddition.

Ces éléments démontrent l’efficacité de la doctrine de la guerre populaire appliquée à la campagne des Hauts Plateaux du Centre, prélude à la victoire finale de la campagne Hô Chi Minh, qui a abouti à la libération complète du Sud et à la réunification du pays.

Le Dr Pham Minh Thê est un spécialiste de l’histoire contemporaine et moderne du Vietnam, ainsi que de l’histoire du Parti communiste vietnamien. Il a mené de nombreuses recherches scientifiques et publié plusieurs articles de référence, contribuant à l’analyse approfondie des grandes questions historiques liées aux luttes de libération nationale et à la stratégie militaire vietnamienne.

Une victoire qui ébranle le Sud et redéfinit le champ de bataille

Le journaliste : Avant le déclenchement de la campagne Hô Chi Minh, le Bureau politique envisageait un scénario où la libération totale du Sud et la réunification du pays s’étaleraient sur deux ans (1975-1976). Pourtant, les victoires successives à Phuoc Long puis sur les Hauts plateaux du Centre ont conduit à la décision d’accélérer la libération du Sud dès 1975. Pouvez-vous livrer votre analyse sur l’importance stratégique de la victoire des Hauts plateaux du Centre ?

Dr. Pham Minh Thê : Il était vrai que lors de la première conférence du Bureau politiques (du 30 septembre au 8 octobre 1974) et de la deuxième (du 8 décembre 1974 au 7 janvier 1975), la politique de libération totale du Sud a été discutée.

Lors de cette réunion, l'État-major général a affirmé qu'il fallait trois campagnes d’attaque pour prendre d’assault Saigon et qu'il était impossible de l'attaquer directement depuis les Hauts Plateaux du Centre, bien qu'à cette époque, la route stratégique est de Truong Son reliant l'Autoroute 9 Quang Tri au Sud oriental ait été ouverte.

Lors que le Bureau politique se réunissait, notre armée et notre peuple du Sud remportèrent une grande victoire dans la campagne de Phuoc Long, libérant cette ville le 6 janvier 1975.

L'Armée de la République du Vietnam n'a pas réussi à reprendre Phuoc Long.

C'était sur cette base pratique que le Bureau Politique a pris la décision de libérer complètement le Sud en 1975-1976.

Le Bureau Politique a déclaré qu'en 1975, nous devrions profiter des attaques surprises à grande échelle et créer les conditions d'une offensive générale et d'un soulèvement en 1976 pour libérer complètement le Sud.

Si l’occasion se présentait au début ou à la fin de 1975, nous libérerions immédiatement tout le Sud en 1975.

Ainsi, en général, nous étions prêts à lancer des attaques majeures et à remporter la victoire en 1975.

Cependant, la victoire complète de la campagne des Hauts plateaux du Centre a changé la situation sur le champ de bataille.

C’était l’occasion pour nous de libérer rapidement, rapidement, rapidement, complètement le Sud.

Prise du commandement de la 23e division de l'armée de la République du Vietnam à Buôn Ma Thuôt en mars 1975. Photo : Musée de la victoire des Hauts Plateaux du Centre.

Prise du commandement de la 23e division de l'armée de la République du Vietnam à Buôn Ma Thuôt en mars 1975. Photo : Musée de la victoire des Hauts Plateaux du Centre.

Le 4 mars 1975, nos troupes ont officiellement ouvert le feu pour lancer la campagne des Hauts Plateaux du Centre.

Du 4 au 9 mars, elles ont coupé la circulation sur les Routes 19 et 21, isolant ainsi les Hauts Plateaux centraux de la région côtière centrale, et ont coupé la Route 14 pour isoler les deux régions des Hauts Plateaux du Centre nord et sud ; attaqué et capturé successivement les chefs-lieux des districts de Thuân Mân le 8 mars et de Duc Lâp le 9 mars ; isolé complètement Buôn Ma Thuôt.

Profitant de la victoire, les 10 et 11 mars, nos forces ont attaqué la ville de Buôn Ma Thuôt, remportant la première bataille clé de la campagne.

Puis, du 14 au 18 mars, nous avons écrasé la contre-attaque de la Division 23 dans la Bataille de Nông Trai-Chu Cuc, remportant la victoire dans la deuxième bataille clé.

Le Comité de gestion militaire de Buôn Ma Thuôt après la libération des Hauts Plateaux du Centre en mars 1975. Photo : Musée de la victoire des Hauts plateaux du Centre.

Le Comité de gestion militaire de Buôn Ma Thuôt après la libération des Hauts Plateaux du Centre en mars 1975. Photo : Musée de la victoire des Hauts plateaux du Centre.

Vaincu et confronté à de fortes menaces de notre armée, depuis le 15 mars, l'ennemi s'est retiré de Kon Tum et Pleiku le long de la route 7 afin de se regrouper dans la plaine côtière de la Zone 5.

Ne manquant pas l'occasion, nos troupes ont promptement poursuivi et détruit la quasi-totalité des troupes ennemies en fuite sur la route 7, avec les batailles de Cheo Reo (du 17 au 19 mars), Cung Son (24 mars), remportant la troisième bataille clé...

Après cela, notre armée a développé les combats dans la région de la côte centrale du Sud, en coordination avec l'armée et la population locales pour libérer les provinces de Phu Yên et de Khanh Hoa (au Centre), mettant fin à la campagne le 3 avril 1975.

En conséquence, nous avons détruit et désintégré le 2e corps - région militaire 2 de l'armée de Saigon, éliminé plus de 28 000 ennemis, capturé et détruit 154 avions, 1 096 véhicules militaires, libéré 5 provinces (Kon Tum, Gia Lai, Dak Lak, Phu Bôn, Quang Duc) et un certain nombre de provinces de la côte centrale du Sud.

Les habitants des Hauts Plateaux du Centre ont été ramenés dans leur pays natal après la victoire des Hautes Plateaux du Centre. Photo : Musée de la victoire des Hauts plateaux du Centre.

Les habitants des Hauts Plateaux du Centre ont été ramenés dans leur pays natal après la victoire des Hautes Plateaux du Centre. Photo : Musée de la victoire des Hauts plateaux du Centre.

La victoire de la campagne des Hauts Plateaux du Centre a véritablement ébranlé tout le Sud, et c'était sur cette base que le Bureau Politique a pris la décision lors de la réunion du 18 mars : libérer complètement le Sud en 1975.

Si l'occasion se présentait au début ou à la fin de 1975, le Sud serait immédiatement complètement libéré. Cette décision du Bureau politique a montré l'importance de la campagne des Hauts plateaux du Centre dans la stratégie intégrale de l'offensive générale visant à libérer complètement le Sud de notre armée et de notre peuple au printemps 1975.

Le journaliste : Nous vous remercions !

Selon le professeur associé. Dr. Nguyên Quang Dao, ancien directeur de l'Institut d'histoire militaire du Vietnam, l'échec de Buôn Ma Thuôt a été un choc qui a conduit le gouvernement de Saigon à décider de se retirer des Hauts Plateaux du Centre. Ce n’était pas seulement une défaite militaire stratégique, mais cela a également provoqué un choc psychologique grave à la fois pour l’armée et le gouvernement de Saïgon.

De notre côté, la victoire de Buôn Ma Thuôt a confirmé la pensée stratégique correcte et pointue du Bureau Politique, du Comité central du Parti, de la Commission militaire centrale et du Haut Commandement, et a confirmé le talent militaire du Commandement de campagne des Hauts Plateaux du Centre.

La victoire de Buôn Ma Thuôt a prouvé que notre position et notre force avaient fait de grands progrès, en particulier sur le champ de bataille des Hautes Plateaux du Centre.

En même temps, cela a démontré un nouveau développement dans l'art militaire, dans lequel il était particulièrement remarquable que nous ayons résolu correctement et efficacement toutes les activités de diversion aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique.

Publication : le 24 mars 2025
Organisation : Nam Dông
Contenu : Son Bach, Phan thach
Dessin : Son Bach
Photos : Hông Quân, VNA, journal Quân dôi nhân dân & Musee de la Victoire de Tây Nguyên