Robert S. McNamara (1916-2009), considéré comme l’un des « principaux architectes » de la guerre du Vietnam, était secrétaire à la Défense des États-Unis de 1961 à 1968 sous les administrations des présidents John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson et jouait un rôle si important que la guerre du Vietnam a également été appelée « guerre de McNamara » par le côté américain (“McNamara’s War”)

Kennedy, Johnson et McNamara ont participé aux décisions concernant la guerre du Vietnam en se basant sur les principes, les valeurs et les traditions américaines qu’ils considéraient comme justes et bons. 

Lors de sa première visite à Saigon en 1962, McNamara a déclaré avec assurance : « Toutes les mesures quantitatives dont nous disposons montrent que nous gagnons cette guerre »).

Cependant, peu de temps après, McNamara a progressivement pris conscience de l’instabilité qui régnait à la fois sur le champ de bataille du Sud-Vietnam et aux États-Unis. 

En tant que secrétaire à la Défense, à la fin de 1963, il avait perdu toute confiance réelle dans la guerre du Vietnam. Cependant, peu de gens s'attendaient à ce que dans ses mémoires « Rétrospective : la tragédie et les leçons du Vietnam», de l’éditeur Random, 1995 (traduit par Ho Chinh Hanh, Huy Binh, Thu Thuy, Minh Nga, McNamara admette franchement « Nous avions tort, terriblement tort » dès l'introduction du livre.

Le général Vo Nguyên Giap et l'ancien secrétaire américain à la Défense, Robert McNamara, qui commandaient les deux côtés de la ligne de front, se sont rencontrés face à face pour la première fois à Hanoï le 9 novembre 1995 après la normalisation des relations entre les deux pays. Photo : Kim Hung/VNA.

Le général Vo Nguyên Giap et l'ancien secrétaire américain à la Défense, Robert McNamara, qui commandaient les deux côtés de la ligne de front, se sont rencontrés face à face pour la première fois à Hanoï le 9 novembre 1995 après la normalisation des relations entre les deux pays. Photo : Kim Hung/VNA.

Près de 30 ans après avoir quitté le poste de secrétaire à la Défense, McNamara a officiellement publié un livre mentionnant les erreurs de l'Amérique dans la guerre du Vietnam, des choses qu'il « avait l'intention de ne jamais dire ». 

McNamara ne s'est pas seulement appuyé sur sa mémoire, mais il a également consulté et examiné un grand nombre de documents.

Il a collaboré avec l'historien Brian VanDeMark pour collecter et analyser ces documents afin de garantir que ses Mémoires décrivent avec précision les événements, reconstituent les sept années durant lesquelles il a occupé le poste de Secrétaire à la Défense et présentent sa vision d’ensemble de la guerre. 

L'une des erreurs les plus graves que McNamara a mentionnées est que les États-Unis ont mal évalué la nature de la guerre.

Ils ont considéré la guerre du Vietnam comme une partie d'une guerre mondiale contre le communisme, alors qu'en réalité, il s'agissait d'une guerre d'indépendance et de réunification du peuple vietnamien.

 Le gouvernement américain considérait le Nord-Vietnam uniquement comme un instrument de l’Union soviétique et de la Chine, en négligeant le facteur national et l’aspiration à l’indépendance du peuple vietnamien.

Cette perception erronée a conduit à une mauvaise évaluation des motivations, de la résilience et de la détermination inébranlable des Vietnamiens dans leur lutte.

Une vérité qui a hanté McNamara jusqu'à la fin de sa vie est que le gouvernement américain, y compris lui-même, plusieurs présidents et de nombreux hauts responsables, n'ont jamais véritablement compris le Vietnam.

À des degrés divers, ils avaient peu de connaissance approfondie ou de respect pour la culture, l’histoire et les valeurs de ce pays.

Cette ignorance a engendré des politiques erronées, aboutissant finalement à l’enlisement et à l'impasse des États-Unis dans cette guerre.

« Si seulement nous avions su » est devenu une phrase récurrente de McNamara par la suite – à propos de la détermination de l’adversaire, des problèmes systémiques politiques au Sud-Vietnam et de la tradition vietnamienne de résistance aux puissances étrangères. 

Pendant la première phase de la guerre de destruction menée par les États-Unis, le Nord-Vietnam avait pour mission de combattre tout en poursuivant la production ; de maintenir l’œuvre de l’édification du socialisme tout en jouant pleinement son rôle d’arrière stratégique pour le grand front du Sud.

À mesure que la guerre au Vietnam s’intensifiait, la peur de l’échec grandissait, incitant le président Johnson à accepter la solution des bombardements, malgré les inquiétudes sur l’instabilité au sud du Vietnam.

L'opération Rolling Thunder (tonnerre roulant), qui visait le nord du Vietnam, a été initialement menée en secret, à l'abri des regards du public américain, à partir du 2 mars 1965.

Durant trois ans, le nombre de bombes larguées sur le Vietnam a été beaucoup plus élevé que celui largué sur toute l'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Les pertes lors de la campagne de bombardement au Vietnam étaient véritablement lourdes : de nombreux pilotes américains ont été portés disparus, le nombre de victimes civiles a augmenté vertigineusement, ce qui a rendu la situation de plus en plus tendue.

 De plus, le fait qu’une superpuissance comme les États-Unis a mené des attaques continues contre un petit pays a incité la communauté internationale à soutenir davantage le Nord du Vietnam.

La campagne de bombardement n'a finalement pas atteint les objectifs stratégiques fixés par les États-Unis, et n'a pas non plus brisé l'esprit de Hanoï.

Au contraire, elle a renforcé sa vaillance. Les Américains « ont pu voir les limites de leurs armes modernes face à un pays petit, mais résilient, avec une grande aspiration à l’indépendance et à l’unification nationale ».

Les aveux de McNamara reflètent non seulement les « terribles erreurs » de sa stratégie militaire, mais révèlent également les limites de l’approche politique des États-Unis au sud du Vietnam.

Les Américains ont mal perçu, mal évalué et placé des attentes excessives sur le Sud du Vietnam.

McNamara a exprimé une profonde déception face à la capacité de leadership et de gestion médiocre, ainsi qu'aux conflits et luttes de pouvoir entre les fonctionnaires et les généraux du Sud du Vietnam de l'époque.

Quant à la situation intérieure, McNamara a franchement reconnu que le gouvernement américain n'avait pas mis en place un appareil de direction efficace pour traiter les problèmes complexes de la guerre.

Face à un gouvernement américain profondément divisé sur la question du Vietnam, Kennedy n'a pas réussi à créer le consensus nécessaire entre les conseillers et les hauts fonctionnaires : « Face au choix entre les pires, il a manqué de fermeté pendant longtemps ».

 L'administration américaine était profondément divisée sur la stratégie et les méthodes de la guerre.

En voyant le secrétaire d'État Rusk et McNamara aux prises avec la guerre du Vietnam, le conseiller à la sécurité nationale Mac Bundy a fait une observation cinglante : le secrétaire d'État essayait de trouver une solution militaire, tandis que le secrétaire à la Défense penchait pour une négociation de paix.

Des chars américains capturés par les forces de l’Armée de libération. Photo : Archives/VNA.

Des chars américains capturés par les forces de l’Armée de libération. Photo : Archives/VNA.

McNamara n'a pas non plus hésité à montrer les graves problèmes liés à la manière dont le gouvernement américain traitait l'information à l’égard du public national, en particulier le manque de transparence et la manipulation de l'information.

Concernant l'incident du golfe du Tonkin en août 1964, bien que McNamara n'ait pas explicitement admis que les États-Unis l'avaient fabriqué pour justifier l'extension de la guerre, ses mémoires mentionnent la possibilité que l'incident ait été exagéré et que l'information n'ait pas été fournie de manière complète, et qu'elle ait été en partie dissimulée.

Cette tromperie a miné la confiance du public, contribuant à créer un mouvement anti-guerre prolongé et une profonde division sociale à travers les États-Unis.

Des manifestations anti-guerre ont éclaté en continu, exigeant la fermeture du Pentagone. 

Avant de s’engager pleinement dans la guerre du Vietnam, les États-Unis n’avaient pas initié de véritables débats ouverts et sincères avec le Congrès et l’opinion publique sur les enjeux et les risques du conflit.

À mesure que la guerre s’enlisait et prenait une tournure imprévue, l’administration américaine ne parvenait plus à conserver le soutien de la population, étant incapable d’expliquer avec clarté la réalité du terrain.

McNamara en viendra plus tard à reconnaître qu’un retrait anticipé des troupes américaines du Sud-Vietnam aurait permis de limiter les pertes en vies humaines, les coûts politiques et sociaux, tant pour les États-Unis que pour le Vietnam.

Mais l’une des erreurs fondamentales des États-Unis dans cette guerre était l’absence de courage politique pour reconnaître à temps l’échec.

Loin d’être une simple erreur stratégique, cette incapacité à remettre en cause une décision erronée a nourri une spirale d’erreurs successives, précipitant l’échec total des États-Unis au Vietnam. Comme le concédait McNamara lui-même : « Nous avons glissé sur une pente glissante et tragique. »

Si le conflit appartient désormais à l’histoire, les leçons qu’il a laissées demeurent toujours d’actualité. L’aveu tardif de McNamara illustre l’importance de tirer les enseignements du passé pour éviter de reproduire les mêmes fautes.

Le 10 novembre 1995, lors d’une visite au Vietnam, il a confié aux journalistes : « Le temps est long, mais il permet d’apaiser les tourments du passé. Ce qui m’a profondément ému, c’est que je n’ai perçu aucune haine dans le regard des Vietnamiens à mon égard. Un Vietnam en paix, encore loin de la prospérité, mais d’une beauté indéniable. Un tel pays, un tel peuple, debout hier comme aujourd’hui, avancera inexorablement vers l’avenir. » 

Ses mots traduisent non seulement sa surprise et son émotion face à la tolérance et la générosité du peuple vietnamien, mais soulignent aussi une vérité universelle : le temps et la paix sont les seuls remèdes capables de guérir les blessures du passé.

Publication : le 18 mars 2025
Contenu : Colonel Dang Thi Luong Hiên, de l’Institut d’Histoire Militaire du Vietnam
Dessin : Phung Trang
Photos : VNA.